Obsolescence programmée: histoire et conséquences

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Écrit par Moïra Courseaux pour Bicursiosité

Vous aussi vous n’en pouvez plus de devoir changer de smartphone tous les deux ans? L’obsolescence programmée concerne de nombreux objets de notre quotidien, téléphones portables, appareils électroménagers, ordinateurs… C’est un processus qui tend à rendre quelque chose périmé, à diminuer la valeur d’usage d’un produit1. On distingue au sein de ce processus deux aspects: l’obsolescence planifiée et l’obsolescence psychologique. Le premier correspond à un problème matériel programmé, l’objet devient non fonctionnel, et le deuxième aspect renvoie aux effets de mode. Mais pourquoi ces phénomènes sont-ils aussi présents dans nos sociétés? Quelles sont ses origines?

Un phénomène nouveau?

Les sociétés humaines tendraient naturellement à pratiquer l’obsolescence. Ce phénomène s’est développé au fil du temps, accompagné d’une profonde transformation des mentalités. Le plaisir de l’ostentation, la propension à la dépense et au gaspillage, permettent à un individu d’afficher sa grandeur. En archéologie, la richesse de la demeure, des objets ou de la tombe d’un individu est souvent considéré comme représentatif de son pouvoir, de sa place dans la société. Il y aurait ainsi des prédispositions psychologiques et symboliques à l’obsolescence programmée. La consommation n’a pas seulement un rôle utilitaire, elle peut également permettre à l’individu qui la pratique de se faire remarquer et ainsi d’obtenir une reconnaissance de la part de la société. On pourrait alors se demander si l’ostentation ne constituerait pas un besoin humain, un besoin social voire une caractéristique de l’Homme.

Les freins à la pratique de l’obsolescence

Des compromis existent, contraignant l’évolution de ces prédispositions. L’ostentation a en effet un coût qui peut être économique. Quand vous avez peu d’argent, vous privilégiez la subvention à vos besoins vitaux comme la nourriture plutôt que l’achat de nouveaux vêtements. Pour contrebalancer ces coûts, il y a un bénéfice social : la reconnaissance de l’individu au sein de la société. Comme réponse à ce compromis, l’adultération est pratiquée. Cela consiste à abaisser intentionnellement les coûts de production d’un produit en mentant au consommateur sur sa qualité et/ou sa quantité dans une logique de profit. L’adultération est généralement associée aux produits alimentaires comme l’ajout de produits sucrants à bas prix dans le miel. On pourrait appliquer le terme d’adultération aux vêtements de sous-marque fabriqués avec des matières dont la composition peu coûteuse n’est pas toujours fournie au consommateur. Un vêtement de moindre qualité s’use plus rapidement ce qui entraîne un rachat et ainsi une hausse de la consommation. L’adultération permettrait donc une stimulation de la demande. Or, plusieurs facteurs semblent aller à l’encontre de cette logique de consommation dûe à une qualité moindre du produit comme par exemple l’encouragement de l’économie circulaire et le souci de réparer un objet qui ne fonctionne plus. L’économie circulaire est un système économique visant à maximiser l’utilisation d’un produit et à limiter la production de déchet. Ce modèle est illustré sur le schéma ci-dessous par l’exemple du coton. La culture, la coutume, la législation peuvent ainsi freiner l’expansion de l’adultération.

Source: Ministère de la transition énergétique et solidaire. Pour plus d’informations: https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/leconomie-circulaire

Un tournant européen au XIXème siècle?

D’après Serge Latouche, la période à laquelle cette fraude est fortement contrainte par des facteurs culturels se situerait avant le XXème siècle voire le XIXème siècle2. Mais le monde n’a pas évolué en même temps et de la même manière partout. Aujourd’hui encore, on peut trouver cette mentalité “pré-moderne”. Même au sein de la société de consommation de masse, des personnes et groupes de personnes encouragent la réutilisation des produits, l’investissement dans des produits de qualité qui durent plus longtemps. On trouve par exemple cette fondatrice d’une boutique de produits durables garantis à vie. La mondialisation aurait permis une expansion de l’obsolescence, imposant le système des pays industrialisés. Au XIXème siècle, les avancées scientifiques permettent la mise en place de procédés moins coûteux, plus optimisés. Mais parfois, ces procédés impliquent des produits de moins bonnes qualités. William Morris parle de “l’âge de l’ersatz”, c’est-à-dire des sous-équivalents. On peut alors rapprocher l’ersatz de l’adultération. L’ersatz permet de tirer partie de faibles ressources dans des conditions difficiles comme en temps de guerre. Cependant, l’industrie produit des ersatz même quand les conditions de vie sont globalement meilleures. Cela provoque des scandales comme le scandale de la viande de cheval dans des lasagnes en 2013 en Europe. Cela compromet la confiance entre consommateur et industrie agro-alimentaire.

Entre nécessité et consommation

La contradiction entre durabilité des produits et production en grandes quantités est soulignée par Paul Lafargue3. Le besoin de main-d’oeuvre croissant limite le chômage et favorise l’enrichissement des entreprises commerciales et de l’industrie. Le travail permet d’obtenir un revenu qui est utilisé pour consommer. Si les individus ont plus de pouvoir d’achat, on peut leur faire acheter plus, les pousser à surconsommer, permettant ainsi un enrichissement de l’industrie. Ce dernier peut être amplifié par la falsification car elle permet de produire à un moindre coût. Le rôle des commerciaux s’affirme, dans les entreprises puis dans les Etats à travers le lobbying. A partir des années 1930, l’éthique du durable faiblit. Lors des guerres et des crises, périodes de besoin, la mentalité de l’économie domine face à celle de la sur-consommation et les commerciaux ont moins d’influence. En conséquence les ingénieurs reprennent leur rôle. Serge Latouche2 les oppose aux commerciaux, mais les ingénieurs répondent à un cahier des charges fourni par l’entreprise ou l’Etat. Ils répondent donc à une demande dont la nature varie. On leur demande de subvenir à des besoins plus ou moins “essentiels” de la population. Les degrés de nécessité sont liés à différentes logiques: un produit nécessaire n’a pas besoin d’être attirant et/ou esthétique contrairement à des produits moins nécessaires que l’on consomme suivant des critères plus esthétiques.

Les Etats-Unis, un contexte particulier

Aux Etats-unis, l‘abondance des ressources permet à la population de s’affranchir d’une certaine nécessité, les facteurs sont donc différents de ceux présents en Europe au cours du XIXème siècle. Le puritanisme du XVIIème marque encore les mentalités. Ce courant spirituel promeut une morale stricte et un culte sans apparat ce qui semble contraire à une logique d’obsolescence. Les mentalités auraient alors évolué et abouti à un comportement dépensier, la recherche d’une satisfaction immédiate. On pourrait s’intéresser au déroulement de cette transformation, ses enjeux, ses mécanismes, son échelle spatio-temporelle, ses acteurs et son intentionnalité. Comment une société peut-elle être à ce point modifiée et influencée? L’obsolescence programmée est aujourd’hui caractérisée par le jetable, très présent aux Etats-Unis. Son imposition en différentes phases dès la fin du XIXème siècle est marquée par une obsession de vendre: les produits d’usage intimes comme les protections périodiques jetables puis l’obsolescence psychologique des automobiles, et ensuite la généralisation aux produits manufacturés. L’obsolescence est de plus en plus perçue comme un moteur de la prospérité. Enfin, dans les années 1960, l’obsolescence alimentaire avec l’utilisation du plastique comme contenant marque une inflexion dans la consommation du jetable.

De lourdes conséquences environnementales et sociales

The collapsed Rana Plaza factory complex in Bangladesh. Photograph: Anadolu Agency/Getty. Source: The Guardian

Ce système de consommation entraîne de nombreux problèmes environnementaux tels que la pollution et l’épuisement des ressources. En Argentine, l’industrialisation de l’exloitation du lithium pour la production de voitures électriques présente de fortes conséquences environnementales par l’assèchement du bassin de Pozuelos qui impacterait directement les communautés aborigènes locales. La recherche de coûts de production de plus en plus faibles et la concurrence n’ont pas de limites. La dégradation des conditions de travail, des conditions de vie et la délocalisation des usines de production ont des impacts sociaux importants. L’effondrement du Plaza Rana au Bangladesh en 2013 témoigne de l’insécurité des salariés bangladais travaillant pour des multinationales. Les conséquences sont donc globales: elles concernent de nombreux domaines et sont internationales.

Conclusion

L’obsolescence programmée serait donc liée à un désir d’ostentation qui comporterait des racines anthropologiques. La culture d’une société permet ou inhibe le développement de cette obsolescence. Des changements de mentalités ont ainsi accompagné son expansion graduelle. Selon la coutume et/ou la culture, l’obsolescence ne va pas s’établir de la même manière, ni avec la même cinétique. Le processus n’est donc pas homogène, que ce soit à l’échelle mondiale ou locale, et continue à évoluer tout en étant soumis à d’autres facteurs. La surconsommation est intimement liée à l’obsolescence et pose problème, notamment à cause des pressions environnementales qui tendent à nous questionner sur notre mode d’exploitation des ressources et sur la préservation des écosystèmes compromise par la pollution. La prise de conscience de ces problèmes par le grand public pourraient limiter la pratique de l’obsolescence programmée et promouvoir des modèles de consommation plus vertueux.

Notes

Image principale : http://www.postlandfill.org/4035-2/


  1. Univ. écon. et soc.,1960, p.24-11 ↩︎

  2. LATOUCHE Serge, « Origine et domaine de l’obsolescence programmée », ​Bon pour la casse ! Les déraisons de l’obsolescence programmée (Les Liens qui Libèrent, 2012) ↩︎

  3. LAFARGUE Paul, Le droit à la paresse, 1880 ↩︎