Rewind en Sciences : Et si 2020 marquait l'entrée dans une nouvelle décennie d'avancées scientifiques de grande ampleur ?

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Écrit par Julia Bethe, Moïra Courseaux et Thomas Laville pour Bicursiosité

L’ensemble des références se trouve en bas de page.

Et si 2020 pour la Science en général marquait le début d’une décennie remarquable ? Oui, cette année fut positive dans beaucoup de domaines, voici 5 exemples de découvertes ou avancées scientifiques marquantes et prometteuses pour l’avenir.

1) Avancées dans la lutte contre la diffusion du paludisme

Par Julia Bethe

Le 4 mai dernier, des chercheur·euse·s ont publié les résultats de recherches montrant qu’un symbiote microsporien (champignon) avait la capacité de bloquer le cycle de reproduction de la malaria (ou paludisme) et donc d’altérer sa transmission vers l’humain avec une efficacité proche de 100%12. Le parasite de la malaria a un cycle de vie en deux temps. Premièrement le gamétocyte se développe dans le moustique lors d’une période d’incubation extrinsèque, c’est-à-dire d’une période durant laquelle un pathogène se développe dans un insecte avant de continuer son développement dans à un nouvel hôte3. Il est ensuite transmis à l’humain via la morsure de l’insecte et intègre les cellules du sang. Sans altérer le cycle de reproduction et le taux de survie du moustique, le symbiote découvert bloquerait la transmission verticale du moustique vers l’humain qui a lieu lors de la morsure.

Cycle malaria ou paludisme
Cycle de vie de la malaria ou paludisme. Image venant de Antimalarial drug resistance: a review of the biology and strategies to delay emergence and spread E.Y. Klein, Int J Antimicrob Agents. 2013 Apr; 41(4): 311–317. Published online 2013 Feb 8. doi: 10.1016/j.ijantimicag.2012.12.007

Si l’on considère aujourd’hui que le paludisme est contracté par plus de 200 millions de personnes et que la moitié de la population mondiale vit dans des zones à risques, cette découverte prend une importance certaine. La transmission de la maladie est influencée par la température, les précipitations, l’altitude et l’intervention humaine. Les changements climatiques, dont notamment l’intensification des événements extrêmes, pourraient avoir de fortes conséquences négatives sur la diffusion de la maladie que ce soit géographiquement ou chronologiquement avec un allongement de la saison des cycles de reproduction du parasite. Aujourd’hui, les populations les plus à risque sont les jeunes de moins de 5 ans avec un mort toutes les 2 minutes, ils représentent la majorité des 400 000 morts annuelles4. De plus, les coûts économiques et sociologiques de la maladie sont nombreux, notamment en ralentissant la croissance des pays dont les plus touchés les plus pauvres et les plus ruraux particulièrement en Afrique (WHO, 2020)5. Notons tout de même que 2020 a marqué deux décennies de forte baisse de mortalité de la maladie (-60% de mortalité entre 2000 et 2019)6. Cette avancée sur le sujet est très prometteuse. Il reste à confirmer que la diffusion d’un nouveau parasite pour freiner celui du paludisme n’altère pas les fonctions écologiques associées aux larves du parasite et du moustique.

2) Déchiffrage de l’élamite linéaire : une avancée aux implications multiples

Par Moïra Courseaux

Quelle est l’origine de l’écriture ? Est-elle unique ? Comment et où est-elle apparue ? Pour répondre à ces questions, les chercheur·eus·es étudient des systèmes d’écriture anciens et tentent de les déchiffrer. Alors que certains systèmes résistent encore, comme le linéaire A crétois, l’archéologue François Desset annonça en novembre dernier sa réussite du déchiffrage de l’élamite linéaire7. Cette écriture a été découverte en 1901 : c’est donc au bout de 120 ans que les inscriptions ont pu être déchiffrées ! Cette avancée n’est pas sans conséquences. En effet, l’élamite linéaire est un système d’écriture utilisé par les Élamites, qui peuplaient l’Iran entre la fin du 3ème millénaire et le début du 2ème millénaire avant notre ère. Les scientifiques supposaient que l’écriture était d’abord apparue en Mésopotamie, puis en Iran. Mais le déchiffrage de l’élamite linéaire remet en cause cette suprématie du proto-cunéiforme mésopotamien8 comme premier système d’écriture. Il est en effet plus probable que ces deux systèmes, mésopotamien et iranien, auraient été développés en même temps en parallèle. En plus de remettre en question l’origine de l’écriture, cette avancée va permettre d’obtenir des informations sur les Élamites présentes dans les textes écrits par ce peuple, d’avoir des connaissances basées sur des sources internes, plutôt que basées sur des sources externes issues des Mésopotamiens. Le déchiffrage de l’élamite linéaire ouvre ainsi de nouvelles perspectives, concernant l’histoire iranienne, le développement de l’écriture, ainsi que la langue élamite.

Elamite linéaire
Inscription en élamite linéaire sur un cône (Musée du Louvre). Crédit : “File:Cone elamite lineaire Sb17830.jpg” by Zunkir is licensed under CC BY-SA 4.0.

3) Première détection d’un cancer ORL à partir d’un test salivaire : histoire d’une participation fructueuse à un essai clinique

Par Moïra Courseaux

Les cancers ORL (oto-rhino-laryngologés) ont des causes multiples, dont virales. En effet, les Papillomavirus humain (HPV), sexuellement transmissibles, seraient liés à un tiers des cancers oro-pharyngés. La détection précoce des cancers est primordiale pour limiter leur progression, or les cancers peuvent se développer sans symptôme au départ. En mars 2020, une publication rapporte le premier diagnostic d’un cancer ORL à partir d’un test salivaire910. Ce test repose sur la recherche d’ADN d’un type de HPV dans la salive par PCR quantitative : une PCR (Polymerase Chain Reaction) permettant de mesurer la quantité d’ADN initiale, et ainsi d’estimer la quantité de virus présents. Dans le cadre d’un essai clinique, un des participant·es a présenté de l’ADN de HPV dans sa salive. À la suite d’une augmentation de la quantité de cet ADN au cours du temps, le patient a choisi de se faire retirer les amygdales, un choix qui s’est avéré judicieux, puisque lors de l’intervention, le chirurgien a observé une tumeur au niveau d’une des amygdales. Le patient est désormais considéré comme guéri, et ne regrette probablement pas sa participation volontaire à l’essai clinique. Ce cas montre que les tests salivaires sont prometteurs dans le cadre de la détection de virus liés au développement de cancers, et ainsi dans la détection précoce de cancers. Cependant, d’autres essais sont nécessaires pour confirmer l’utilité de ce type de test.

4) Le lancement du synchrotron de quatrième génération à Grenoble (ESRF) : de nouvelles perspectives dans l’imagerie scientifique

Par Thomas Laville

26 ans après l’inauguration de l’European Synchrotron Radiation Facility (ESRF), la nouvelle génération de ce dernier a été lancée le 24 août 2020 à Grenoble11. Cette nouvelle génération du synchrotron, nommée Extremely Brilliant Source (EBS)12, permet à l’ESRF d’être le premier synchrotron de 4e génération. Un synchrotron est un accélérateur de particules qui permet de produire des rayons-X à l’aide d’électrons de haute énergie13. Les électrons sont d’abord accélérés jusqu’à une vitesse proche de celle de la lumière dans un accélérateur linéaire à l’aide d’ondes électromagnétiques. Ils sont ensuite envoyés dans le booster synchrotron, un anneau dans lequel ils gagnent un peu plus d’énergie à chaque tour. Lorsqu’ils ont atteint leur énergie finale, ils passent dans l’anneau de stockage. Dans cet anneau, les électrons traversent différents types d’aimants où ils subissent des accélérations et perdent de l’énergie sous forme de rayonnement électromagnétique appelé lumière synchrotron (généralement rayons-X). Le faisceau de lumière produit est ensuite envoyé dans les lignes de lumières, des laboratoires spécialisés où se situent les échantillons à étudier et les outils de mesures. Ce rayonnement permet alors des applications dans différents domaines (chimie, médecine, paléontologie, patrimoine, etc.) pour des observations à différentes échelles (macroscopique - nanométrique). Avec son rayonnement à haute énergie, l’ESRF-EBS produit un flux de rayons-X ayant une brillance14 et une cohérence15 cent fois plus puissantes que la précédente génération de synchrotrons. Avec l’installation de quatre nouvelles lignes d’ici 2023, en plus des 44 déjà en service, cette nouvelle génération permettra d’atteindre l’échelle atomique et donc d’obtenir un résolution plus importante.

Synchrotron
Vue du faisceau de rayons X sans (en haut) et avec EBS (en bas). Crédit : ESRF

5) Une IA de Google a accompli une prouesse de bioigéniérie faisant avancer cinquante ans de recherche sur les protéines

Par Julia Bethe

En décembre dernier lors d’un concours de biologie moléculaire organisé par le CASP (Critical Assessment of Protein Structure Prediction) se déroulant tous les deux ans, un programme de DeepMind (filiale de Google) appelé AlphaFold2 a battu une centaines d’équipes de chercheur·euse·s. Cette IA (intelligence artificielle) a trouvé la forme d’une protéine dans l’espace en se basant sur la succession de ses centaines d’acides aminés16. Dans un premier temps, le programme a appris et développé ses connaissances en s’entraînant sur 170 000 structures de protéines déjà connues. Des équipes de scientifiques se penchent depuis une cinquantaine d’années sur le problème du repliement des protéines - c’est-à-dire de leur forme dans l’espace - ce qui est fondamental dans la compréhension de leur rôle biologique par la suite. Il y a deux ans, le programme avait déjà participé au concours organisé par le CASP mais cette année la précision avec laquelle la structure de la protéine a été prédite n’avait jusqu’alors jamais été atteinte en étant 50% plus précise qu’en 2018. AlphaFold2 a obtenu un score supérieur à 90 sur 100, ce qui est considéré comme équivalent à une structure déterminée expérimentalement. C’est fondamental, car plus la prédiction est précise, plus la fonction d’une protéine peut être comprise en détails et avoir des bénéfices pour la recherche et la médecine17. Le fait que la structure des protéines définit leur rôle - aussi appelé « repliement » - a été découvert il y a une cinquantaine d’années. Depuis, les scientifiques cherchent à déterminer la structure de chaque protéine pour comprendre au mieux leur utilité. DeepMind avait déjà fait parlé de lui en simulant des parties de jeu de Go. L’IA a été mise à profit pour accomplir une prouesse technique qui est un exemple d’utilisation du deep learning (apprentissage profond) pour accélérer les performances de la recherche fondamentale et permettre d’étendre les connaissances et applications dans de nombreux domaines comme ici la biologie moléculaire.

Protéines d’AlphaFold
Deux exemples de protéines ciblées par la modélisation. AlphaFold a prédit de manière hautement précise les structures, qui sont comparées ici aux résultats obtenus par expérimentation. Crédit : DeepMind.

Références


  1. https://www.nature.com/articles/s41467-020-16121-y#citeas ↩︎

  2. https://www.bbc.com/news/health-52530828 ↩︎

  3. L’incubation extrinsèque a lieu par opposition à l’incubation intrinsèque, qui correspond à la période de développement dans l’hôte définitif. Plus de détails ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Comp%C3%A9tence_vectorielle?wprov=sfti1 ↩︎

  4. https://www.who.int/news-room/facts-in-pictures/detail/malaria ↩︎

  5. https://www.who.int/teams/global-malaria-programme/reports/world-malaria-report-2020 ↩︎

  6. https://www.who.int/publications/i/item/9789240015791 ↩︎

  7. https://www.sciencesetavenir.fr/archeo-paleo/archeologie/breaking-the-code-en-craquant-une-ecriture-non-dechiffree-vieille-de-plus-de-4000-ans-un-francais-remet-en-cause-la-seule-invention-de-l-ecriture-en-mesopotamie_149795 ↩︎

  8. https://fr.wikipedia.org/wiki/Cun%C3%A9iforme#Les_d%C3%A9buts_de_l'%C3%A9criture ↩︎

  9. https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fonc.2020.00408/full ↩︎

  10. https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cancer/premier-cancer-orl-detecte-par-un-test-salivaire_145573 ↩︎

  11. https://www.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/un-synchrotron-nouvelle-generation-pour-leurope ↩︎

  12. https://ebs.esrf.fr/about-us/ ↩︎

  13. https://www.esrf.eu/fr/home/about/synchrotron-science/synchrotron.html ↩︎

  14. Mesure permettant de qualifier à la fois le flux de photons (nombre de photons par seconde) ainsi que la possibilité de focalisation du flux. ↩︎

  15. “Deux ondes lumineuses sont dites mutuellement cohérentes si elles donnent naissance à une figure d’interférences assez stable pour être détectée.”, Henry Michel, OPTIQUE - optique cohérente, Universalis.fr, https://www.universalis.fr/encyclopedie/optique-optique-coherente/1-emission-de-la-lumiere/ (consulté le 24.01.2021) ↩︎

  16. https://www.nature.com/articles/d41586-020-03348-4 ↩︎

  17. https://deepmind.com/blog/article/alphafold-a-solution-to-a-50-year-old-grand-challenge-in-biology ↩︎